Superstition: un remède à nos doutes
Glisser un trèfle à quatre feuilles dans sa poche le jour d'un examen, ça ne coûte rien, mais ça peut redonner confiance en soi. Un porte-bonheur est une planche de salut à laquelle on se raccroche pour surmonter son angoisse. Avant tout, les superstitions représentent un rituel rassurant qui nous permet de surmonter nos craintes, explique Anne Floret-Van Eiszner, psychologue. Certains en ont besoin pour retrouver confiance en eux et combattre leur anxiété. >>>
Comme les doudous de notre enfance, ces grigris servent à endormir nos inquiétudes et à nous donner du courage. « Je collectionne les porte- bonheur, raconte Sarah qui ne sort jamais sans ses fétiches. À l'âge de 6 ans, j'ai trouvé un trèfle à quatre feuilles et, toute la journée, je me suis sentie protégée. Quand il s'est fané, quelques jours après, j'ai eu l'impression d'être plus vulnérable. Depuis, j'amasse les objets qui peuvent m'aider à influencer le hasard. Je sais, c'est une croyance qui ne repose sur rien de précis. Mais ça me donne du courage quand je dois prendre une décision... et ça ne gêne personne. » [...]
Superstition: des repères dans notre vie
On ne se résigne pas au hasard, ni aux caprices du destin: nous nous arrangeons toujours pour lui donner un sens. Et nous interprétons ce qui nous arrive en fonction de nos croyances personnelles. Quand on rencontre l'homme de sa vie, c'est grâce à notre bonne fortune. Si on se casse la jambe après être passé sous une échelle, c'est la faute au mauvais sort: ce n'était pas notre jour... Les superstitions sont des signes qui nous aident à déchiffrer ce qui nous arrive. Elles forment des points d'ancrage qui nous guident au quotidien.
<<< Quand j'aperçois un corbeau avant de me rendre à un rendez-vous, je reste sur mes gardes, confie Cécile. Au moment de prendre une décision, je fais très attention à ces petits signes. Pour moi, il s'agit de messages qui m'annoncent les coups du sort. >>>
Les superstitions évoluent avec la société. Aux croyances traditionnelles s'ajoutent des <<< légendes >> toutes personnelles que chacun s'invente en fonction de son expérience, de son éducation... Notre vie semble ainsi plus familière et plus rassurante. Tant qu'elles ne tournent pas à l'obsession, les superstitions ont donc quelques bons côtés à préserver.
Mais lorsque croyances et rituels deviennent des contraintes, il est nécessaire de consulter un spécialiste.
Catherine Cordonnier
13 avril 2012.
Gouverne-t-on un pays avec l'horoscope?
Le président François Mitterrand consultait régulièrement une astrologue, Elizabeth Teissier, de 1990 a 1995 Pour ceux qui en douteraient l'intéressée avait pris som d'enregistrer (avec le consentement du Président, a-t-elle prétendu) certains de leurs entretiens L'astrologue a révéla ces consultations présidentielles la première lois en 1997 dans un livre, puis lors d'une interview avec Karl Zéro en juillet 2000 (dans l'émission Le Vrai Joumal) À cette occasion, certains extraits des discussions entre le Président et l'astrologue furent même diffusés sur l'antenne de Canal+ On s'en amusa. Mitterrand avait dissimulé durant son septennat des secrets plus importants. Mais une question demeure cependant comment un homme intelligent er cultivé, assumant les plus hautes responsabilités de l'État, avait-il pu recourir à l'astrologie pour prendre certaines décisions?
Pour sa défense, rappelons que la situation n'est pas inédite. Au cours de l'histoire, nombreux hommes d'État ont mobilisé toutes sortes de méthodes magiques de prédiction. Dans son Histoire de l'avenir Thistonen Georges Minois rappelle le goût immodéré des politiciens de l'antiquité pour les présages et les divinations. Plus récemment, Ronald Reagan, qui gouverna la nation la plus puissante du monde de 1981 à 1989, s'est fait conseiller, lui aussi, par une astrologue californienne du nom de Joan Quigley On le salt par ailleurs, certains patrons d'entreprise font appel, pour leurs recrutements, à la numérologie, la morphopsychologie, la graphologie.
Ces disciplines sont-elles fondées pour que des décideurs y aient ainsi recours C'est du moins ce que voudrait faire croire Élizabeth Teissier lorsqu'elle déclare au Nouvel Observateur en août 2000-S un homme aussi intelligent que François Mitterrand prenait l'astrologie en compte, pourquoi ne pas la reintroduire comme science?- Pourtant, c'est une idée difficilement acceptable. Les astrologues peuvent avoir raison. Mais, n'est-ce pas comme l'écrivait Cicéron, parce que les haruspices ne sont pas malchanceux au point que jamais n'arrive par hasard l'événement qu'ils ont annoncé ? La validité de l'astrologie serait ainsi moins scientifique que statistique. En témoigne l'expérience de ce groupe de rationalistes canadiens qui, chaque année. samusent à faire des prédictions sur l'avenir du monde au hasard. Concrètement, ils tirent trois fléchettes sur trois cibles différentes pour déterminer le lieu, l'heure et l'événement de leur prophétie. Or, même avec cette méthode hasardeuse, ils obtiennent des résultats équivalents, voire supérieurs, à ceux des meilleurs astrologues et voyants de leur pays.
En France aussi les astrologues font régulièrement la preuve de leur incompétence dans les magazines amusez-vous à relire leurs prédictions un an après qu'elles ont été énoncées. Vous constaterez que beaucoup sont erronées. La fameuse astrologue de Mitterrand est elle-même régulièrement épinglée pour ses innombrables erreurs.
On eri revient donc à cette question comment expliquer que des dirigeants (politiques ou économiques) puissent faire appel à la divination ? Le recours à de telles pratiques est en effet d'autant plus déroutant qu' touche des individus censés prendre des décisions qui impliquent des destins collectifs en s'éclairant de la seule raison. Or, il est difficile de croire ces hommes ponctuellement dépourvus d'intelligence lorsqu'ils font appel à l'astrologie et à la superstition En réalité, leur recours aux croyances irrationnelles relève d'une certaine logique. Sans que celle-ci ne légitime en ren la voyance, l'astrologie, la superstition et ceux qui en font le commerce, parfois, le recours à de letlers pratiques n'est pas aussi absurde qu'il pourrait paraître, Examinons pour cela la plus indéfendable d'entre elles la croyance superstitieuse. La plus indéfendable parce que fondée sur aucun argument. Qu'y a-t-il de plus absurde, par exemple, que de toucher du bois pour s'assurer du bonheur ? On peut trouver toutes sortes de justifications historiques à cette croyance (le bois est le symbole de l'arbre qui est un lien entre le Ciel et la Terre, la croix du Christ était en bois, etc.) Mais, la plupart du temps, vous ne trouverez aucune de ces raisons dans l'esprit de celui qui touche du bois au moment où il cherche à se prémunir du mauvais sort.
Or, qui n'a jamais touché du bois ? Qui n'a pas son stylo préféré pour passer des examens, un habit de prédilection pour certaines circonstances un itinéraire dans la ville qu'il lui coûterait de ne pas suivre ? Qui n'a jamais compté ses pas, n'a jamais voulu voir comme un bon augure telle insignifiance du hasard (une chanson que nous aimons et qui passe à la radio au moment où nous l'allumons, un rayon de soleil qui traverse les nuages)? Tous, nous avons nos petits rituels. Et rares sont ceux qui vivent avec un tel esprit de sérieux qu'ils ne s'y abandonnent jamais. Seulement voilà, on ne s'y abandonne pas en n'importe quelle circonstance les situations d'incertitude, les moments anxiogènes encouragent les pratiques superstitieuses. Pendant les guerres, les épidémies", avant une grande compétition sportive, dans l'attente d'un événement important, etc cess pratiques réapparaissent Les voyantes connaissent bien les raisons qui font qu'on les consulte Tous les cahiers de prières les ex-voto, ne sont pas autre chose qu'une tentative d'avoir priste sur une situation d'incertitude qui nous fait violence. Avez-vous des problèmes de santé, recherchez-vous un emploi, avez-vous des problèmes de coeur...? Vous pourrez étre tenté de recourir aux services que sait rendre toute pratique magico-superstitieuse vous donner l'impression, même pour un court instant, que vous augmentez vos chances de résoudre votre problème.
Ainsi, à chaque fois que nous sommes confrontés à une situation angoissante, dont les enjeux nous paraissent importants mais dont le terme nous semble incertain, nous sommes tentés de recourir à une pratique magique (qui peut être aussi anodine que de fermer les yeux en souhaitant très fort que notre désir se réalise par exemple, la guérison d'un proche).
Cette tentation, à laquelle nous ne sommes jamais obligés de céder, est plus forte non seulement dans les penodes de stress, mais aussi à certains ages. Ainsi, le sociologue Antoine Delestre, qui a réalisé plusieurs enquêtes sur les croyances, montre que les adolescents sont plus superstitieux que toutes les autres classes d'âge, lis sont 43% à porter autour du cou un objet porte-bonheur contre 29.4% chez les 20-24 ans et 34,6% pour les 25-39 ans.
De même, les 15-19 ans possèdent plus souvent un chiffre porte-bonheur 38.6% d'entre eux contre 27% des 20-24 ans. 22% des 25-39 ans et 27,7% des 60 ans et plus. C'est aussi à cet äge que l'on répond le plus souvent oui à la question Y a-t-il des chiffres, des objets, des animaux qui portent malheur?- Période de construction de fidentité, de profonde transformation, l'adolescence suscite bien des angoisses et il n'y a donc nen d'étonnant à ce qu'elle favorise les pratiques superstitieuses.
Document 3
Pourquoi sommes-nous superstitieux ?
Chaque vendredi treize vous vous cloîtrez chez vous ? Vous préférez rompre le pain plutôt que de le couper... Bref votre vie est placée sous le signe de la superstition et de la pensée magique... Ces croyances sont-elles une façon de se rassurer ou une entrave a la liberté? Tour d'horizon...
Un moyen de se rassurer
Vous êtes de ceux qui croient aux présages ou aux signes prémonitoires Vous préférez vous désister que déve treze à table, et d’être trempé par la pluie plutôt que de passer sous une échelle. Vous avez méme créé un code personnel de croyances quand vous emportez votre porte-clefs fétichele jour d’un examen, vous êtes sürte) de réussir: si l’ascenseur est la au moment où vous arrivez, c’est que votre histoire d’amour est sur de bons rails Bref, la vie que vous menez est secondée par le bon vouloir de votre environnement Si cela vous rassure, tant mieux ! Méfiez-vous tout de même à ne pas devenir dépendant de signes petulte Mqu’à en être la victime.
Superstition, actes manqués et désirs refoulés
Dans son ouvrage Psychopathologie de la vie quotidienne. Freud remarque que le superstitieux interprète un événement produit par le hasard pour guider ses choix. Alors que la psychanalyse permet d'identifier dans un événement qui semble dü au hasard, ce qui a été produit par la vie psychique inconsciente dy sujet Ainsi, un faux pas sur le seul d'une maison, mauvais prèsage pour les Romains, est en fait un acte manque, et dorit une producten de finconscient. Par contre, les vols d'oiseaux dans le ciel, interprétés partes Romains comme tavorables, n'ont aucune relation avec le psychisme d'un individu et relèvent de la superstition Mais à partir du moment où l'individu s'appuie sur un événement extérieur indépendant de sa personne, pour decider qu'une chose est bonne ou non pour lui, il fait appel non plus à la superstition mais à un dési refoule.
Les bons et les mauvais signes
Chacun, secrètement, a besoin de se raccrocher à quelques signes définis comme bons signes pour évacuer son angoisse. C'est le cas dans des situations stressantes, telles que les examens, les entretiens d'embauche, où on peut porter sur soi un objet fétiche, tel qu'un mouchoir ou un bijou. S'en remettre ainsi à des superstitions personnelles ne porte pas à conséquence, à condition que l'absence de bon signe. n'implique pas l’échec.
Préparation à l'épreuve écrite
Répondez aux questions suivantes à l'aide de vos notes.
1. Que permettent les superstitions?
2. Les superstitions sont-elles immuables?
3. A quelle(s) condition(s) peut-on's'y livrer, s'y référer?
4. Qui se livre à des rituels propres à la superstition? Cela est-il fonction de l'âge?
5. Quand les gens se montrent-ils plus superstitieux?
6. Seuls les crédules recourent-ils à l'astrologie?
7. Les prédictions des astrologues sont-elles fiables?
8. Quels sont les synonymes de un porte-bonheur? En quoi peuvent-ils consister?
Activité 3.2.
Épreuve écrite
La publication, par un magazine grand public, d'un dossier sur les croyances et les superstitions dans la vie actuelle, a suscité un abondant courrier de lecteurs. Vous etes l’un de ceux-ci. Dans votre lettre, vous expliquez que, qui que nous soyons, nous sommes quotidiennement influencés par des croyances et des superstitions, de façon directe ou non. À l'aide du dossier joint et d'apports personnels, vous rédigez un texte structuré dans lequel vous presentez votre point de vue en adoptant un style approprie et un ton engage.
(700 mots minimum.)
Cher éditeur,
Je vous écris aujourd’hui en réponse au dossier récemment publié dans votre magazine sur les croyances et les superstitions dans notre vie moderne. Ce sujet, apparemment anodin, a suscité un flot important de réactions parmi vos lecteurs, et je souhaiterais partager avec vous ma perspective sur cette question fascinante.
Les superstitions, loin d’être des phénomènes marginaux ou réservés à une frange particulière de la société, imprègnent insidieusement notre quotidien et influencent nos actions de manière souvent inconsciente. Comme le souligne Anne Floret-Van Eiszner, psychologue, ces superstitions agissent comme des rituels réconfortants, nous offrant un sentiment de contrôle dans un monde souvent imprévisible et troublant. Qui d’entre nous n’a jamais senti un frisson en croisant un chat noir ou ressenti une pointe d’appréhension en brisant un miroir?
Pourtant, ces pratiques superstitieuses ne se limitent pas à des gestes rituels. Elles sont également des repères dans notre vie, des points d’ancrage qui nous aident à interpréter le monde qui nous entoure. Comme le témoigne Cécile dans le dossier, la vue d’un corbeau avant un rendez-vous peut déclencher une réaction de méfiance, nous incitant à rester sur nos gardes. Ces superstitions, qu’elles soient héritées de traditions anciennes ou inventées au fil de nos expériences personnelles, contribuent à rendre notre existence plus familière et rassurante.
Pourtant, il est important de reconnaître que les superstitions ne sont pas immuables. Elles évoluent avec la société, s’adaptant à nos nouvelles réalités et à nos préoccupations contemporaines. Comme le souligne le document, aux croyances traditionnelles se mêlent désormais des légendes personnelles, forgées par chacun en fonction de son vécu et de son environnement. Cette capacité d’adaptation des superstitions les rend d’autant plus présentes et influentes dans nos vies.
Un aspect particulièrement intéressant soulevé dans le dossier est la question de l’astrologie et de son influence sur les décideurs politiques et économiques. Si l’exemple de François Mitterrand peut prêter à sourire, il soulève néanmoins une interrogation profonde sur la frontière entre rationalité et croyance irrationnelle. Comment des individus intelligents et cultivés peuvent-ils recourir à des pratiques divinatoires pour prendre des décisions cruciales? Cette question nous renvoie à la complexité de la psyché humaine et à notre propension à rechercher des réponses là où la raison seule semble impuissante.
En conclusion, les superstitions ne sont pas à sous-estimer dans leur impact sur nos vies. Qu’elles servent de simples rituels réconfortants ou de repères interprétatifs, elles façonnent notre manière d’appréhender le monde et de prendre des décisions. Toutefois, il est essentiel de maintenir un juste équilibre entre ces croyances et la rationalité, afin de ne pas sombrer dans l’obsession ou la dépendance. En explorant ces questions, nous enrichissons notre compréhension de nous-mêmes et du monde qui nous entoure.
Je vous remercie de m’avoir donné l’opportunité de partager mes réflexions sur ce sujet captivant, et j’espère que cela contribuera à alimenter le débat parmi vos lecteurs.
Cordialement,
Stasy